8ème jour...



Il est des leçons de l’histoire qui semblent ne pas vouloir s’apprendre. Celles qu’auraient pu tiré Israël et le Hamas de leurs précédentes confrontations en sont un exemple criant.

A l’heure ou ce texte est écrit, l’opération “Pilier de Défense” lancée par Israël pour mettre un terme aux opérations militaires du Hamas, l’autorité gouvernant de facto la bande de Gaza depuis 2007, entre dans son huitième jour. En une semaine, l’armée israélienne a entrepris de bombarder plus de 1500 sites dans la bande, tuant 136 palestiniens dont 91 civils et en blessant près de 950, dont 922 civils selon le Conseil Palestinien pour les Droits de l’Homme (PCHR). Côté palestinien, près de 1200 roquettes ont été lancées depuis Gaza, dont 400 ont été interceptées par le système anti-missile israélien “Iron Dome”. Elles ont fait 5 morts dont 4 civils et plus de 60 blessés.



La plupart des analystes s’accordent à dire que “Plomb Durci”, la dernière opération militaire israélienne lancée à l’hiver 2008 dans la bande de Gaza, a été un échec stratégique et politique notoire pour Israël. L’Etat Hébreu n’a en effet pas réussi à affaiblir durablement l’organisation islamiste, et ce malgré une intervention dont la disproportion et le manque de discernement entre militaires et civils (deux principes sensés être garantis par les conventions de Genève régissant le droit international humanitaire) ont été fortement condamnés par la communauté internationale. L’opération n’a cependant pas plus été un succès pour le Hamas, dont les tirs de roquettes et la rhétorique anti-israélienne n’ont apporté aucune amélioration notable de la situation à Gaza, tout en aggravant la réputation d’entité terroriste et antisémite de l’organisation ainsi que la polarisation des opinions négatives de la communauté internationale à l’encontre du peuple palestinien dans son ensemble.

Beaucoup s’accordent à dire que cette nouvelle opération, jusqu’à présent quasiment identique à “Plomb Durci” du point de vue de son contexte, de ses objectifs et de sa stratégie, ne sera pas plus efficace. Dès lors, pourquoi recommencer une guerre couteuse que l’on sait déjà contre-productive?

Plusieurs pistes d’analyse peuvent être mises en avant.

Coté israélien, le motif officiellement mis en avant par le gouvernement est la nécessité de restaurer sa force de dissuasion et d’assurer la sécurité de ses citoyens – particulièrement la population vivant dans la partie sud d’Israël - face à la “menace” des factions islamistes opérant dans la bande de Gaza, vue par Israël comme de plus en plus pesante. Certains éléments prêtent cependant à penser que cet objectif n’est que secondaire et que les réelles motivations du gouvernement de Benyamin Netanyahou se trouvent ailleurs. Parmi celles-ci, on pourrait citer sa volonté de supprimer les capacité militaires du Hamas pour sécuriser le front Ouest avant d’entreprendre une opération d’envergure en Iran, ou encore sa mission autoproclamée et quasi messianique de sauver à tout prix l’Etat d’Israël de tout évènement ou entité qui viendrait menacer son existence. Mais les arguments revenant le plus souvent à la bouche de ses détracteurs sont d’ordre électoral: une élection est en effet prévue en janvier 2013, et Israël semble avoir une tradition désormais bien ancrée de lancer des opérations militaires quelques semaines avant la tenue d’importantes élections. C’était par exemple le cas pour “Plomb Durçi” en 2008, mais également pour la guerre du sud Liban en 2006, ou encore le bombardement du réacteur nucléaire d’Osirak en 1981. On peut donc penser que le “momentum” pour lancer une opération à Gaza est idéal: la nécessité d’affaiblir pour quelques mois au moins le Hamas en vue d’une possible intervention en Iran, l’approche des élections sur le plan interne, mais également le dénouement des élections américaines et le soutien inconditionnel officiellement déclaré par les américains à l’Etat d’Israël concernant toutes les actions d’ordre sécuritaire entreprises par le gouvernement Netanyahou.

La viabilité de l’argument “sécuritaire” est cependant discutable: le point de départ de l’escalade de violence a été l’assassinat par les forces israéliennes d’Ahmed Jabari, le chef militaire de la branche armée du Hamas, un homme puissant, très charismatique et hautement respecté dans la bande. Si Jabari était l’un des hommes forts du Hamas et portait la responsabilité de nombreux attentats à l’encontre d’intérêts israéliens, il n’en demeure pas moins qu’il était également l’interlocuteur privilégié d’Israël à l’intérieur de la bande, ainsi que l’artisan de tous les cessez-le-feu négociés entre l’organisation islamiste et l’Etat Hébreu jusqu’à ce jour. Il était également l’homme qui a orchestré la négociation ayant  permis la libération du soldat franco-israélien Gilad Shalit en 2011. On sait également que Jabari a été assassiné alors même qu’il avait en main le projet d’un cessez le feu de plus longue durée avec l’armée israélienne. Si l’objectif premier d’Israël était réellement d’ordre sécuritaire, on est donc en droit de se demander pourquoi le commandement israélien a délibérément choisi de viser en premier un “collaborateur” - ou du moins un pragmatique - plutôt que des éléments plus radicaux de l’organisation, au moment même ou un cessez le feu important était en discussion. Certains disent que Jabari représente d’ores et déjà le “Ben Laden” de Netanyahou, et assurera la réélection du “sauveur” d’Israël, tout comme l’assassinat du leader d’Al Qaida par le gouvernement Obama avait été instrumentalisé – avec succès – à des fins électorales par ce dernier.

Même si des similarités avec Plomb Durci existent, il faut néanmoins prendre en considération un changement fondamental par rapport au contexte dans lequel s’est déroulé la précédente opération: la géopolitique régionale a en effet été profondément remaniée avec le printemps arabe et le déboulonnage d’alliés fideles d’Israël tels qu’Hosni Moubarak en Egypte – et a permis l’avènement sur la scène politique régionale de régimes islamistes plus proche idéologiquement du Hamas et dont plus enclins à s’opposer à Israël et soutenir l’organisation islamiste palestinienne en cas de crise. Le Hamas a en effet pu nouer de nouveaux liens avec des puissances régionales stratégiques comme l’Egypte, la Turquie et Le Qatar, rompant de fait avec l’isolement diplomatique dont l’organisation souffrait depuis 2007 et rendant le calcul du cout éventuel d’une intervention armée beaucoup plus complexe et incertain pour Israël.

Le Hamas a également appris de ses erreurs tactiques il y a 4 ans. Il est désormais mieux organisé, mieux coordonné, mieux équipé – il en a fait la preuve récemment en lançant des roquettes type Fajr 5 de confection iranienne sur des villes importantes jusqu’à présent hors d’atteinte comme Tel Aviv et la très stratégique Jérusalem - et semble prêt à en découdre dans l’éventualité où Israël serait suffisamment naïf pour tomber dans le piège d’une opération terrestre. L’organisation islamiste souhaite en effet cette option plus que tout. Cela renforcerait sa position de leader de plus en plus contestée ces derniers mois par les autres factions armées de la bande, et lui donnerait l’occasion de multiplier les opportunités de tuer et kidnapper des soldats israéliens afin de négocier leur libération sur le modèle de l’échange du soldat Gilad Shalit. Le nombre élevé de victimes qu’une telle invasion causerait à la population palestinienne lui permettrait également de gagner définitivement la bataille médiatique engagée avec l’armée israélienne. Le Hamas peut également désormais compter sur ses riches patrons – notamment le Qatar – pour financer tout ce qu’Israël aura détruit durant cette opération.

Il semble donc que le cout politique global de cette nouvelle opération soit globalement plus lourd pour Israël que pour le Hamas. Une chose est en tout cas certaine, il ne change en rien le rapport de forces global et éloigne encore un peu plus l'espoir d'une solution juste et durable au conflit qui embrase la région depuis plus de 60 ans.


(Une partie de cette analyse a été citée par Julien Saada dans son blog dédié à l'actualité politique au Moyen-Orient et hébergé par le site d'information québécois "L'Actualité", à voir ici)