La Palestine aux Nations Unies: premières conclusions


138 voix pour, 9 contre et 41 abstentions. C’est avec mention que la Palestine a obtenu le 29 novembre dernier le statut d’Etat observateur non membre des Nations Unies. Au grand dam d’Israël et des huit autres Etats qui s’y sont opposés (dont le Canada), une large majorité de l’Assemblée Générale de l’ONU a ainsi décidé de formellement reconnaitre le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Au-delà du symbole et du caractère historique de la décision, ce geste a des implications légales : il va permettre à la Palestine d’adhérer à des organes importants du droit international tels que la Cour Pénale Internationale (CPI) et la Cour Internationale de Justice (CIJ), ouvrant la voie à une action légale à l’encontre d’Israël pour certaines des exactions commises dans les territoires palestiniens occupés. Ces recours légaux ont néanmoins leurs limites : la juridiction de la CPI (dont les moyens limités l’obligent à opérer une certaine sélection dans ses choix d’investigation) n’est pas rétroactive et limitée à des faits qui n’ont pas déjà fait l’objet d’une enquête par leur auteur. Il faut donc prendre l’argument légal avec un certain recul. Car l’initiative palestinienne est avant tout symbolique.

Le pari gagné de Mahmoud Abbas
Mahmoud Abbas a en effet réussi son pari lancé en septembre 2011 d’écrire une nouvelle page de l’histoire du conflit, en faisant un premier pas symbolique vers la réalisation du rêve qui anime la population palestinienne depuis 65 ans. L’avènement de « l’Etat de Palestine » relève plus du théâtre politique que de la réalité sur le terrain : les territoires palestiniens sont toujours sous contrôle israélien et les nombreuses restrictions et discriminations continueront malgré le vote de constituer le quotidien de la population. Mais comme le dit Robert Blecher, spécialiste de la région, “dans le monde du processus de paix israélo-palestinien, le théâtre peut avoir de l’importance”. Le rêve et l’espoir ont également la leur, et arrivent à point nommé dans un conflit qui depuis plusieurs années en est dépourvu.

Une semaine avant que Mahmoud Abbas ne se rende à l’ONU, Israël bombardait pas moins de 1500 sites en une semaine dans la bande de Gaza, tuant 136 palestiniens dont 91 civils et en blessant près de 950, dont 922 civils. Côté palestinien, près de 1200 roquettes étaient lancées depuis Gaza - certaines atteignant pour la première fois depuis 1967 des villes comme Tel Aviv et Jérusalem - faisant 5 morts dont 4 civils et plus de 60 blessés. Quelques semaines plus tôt, c’étaient les rues de Cisjordanie qui s’enflammaient pour dénoncer l’inaction de l’Autorité Palestinienne face à la hausse des prix et la dégradation générale des conditions de vie. Le spectre de la violence revenait ainsi sanctionner l’échec de la solution politique et l’immobilisme du processus de paix, au point mort depuis quatre ans ; en réalité presque vingt. Au bord de la faillite, incapable de mettre en œuvre l’accord de réconciliation nationale signé en 2011 avec le Hamas, critiquée à la fois par un Etat israélien profitant de sa position de force pour s’éloigner de plus en plus du dialogue au profit de l’unilatéralisme, ainsi que par sa propre population l’accusant d’être plus préoccupée par le respect de ses obligations envers Israël que par la fin de l’occupation, l’Autorité Palestinienne se trouvait ainsi dans une situation critique. C’était sans compter avec le récent cessez-le-feu à Gaza considéré par les observateurs comme une victoire politique pour le Hamas, sur laquelle ce dernier compte bien capitaliser au détriment de Ramallah. Mahmoud Abbas n’avait donc pas d’autre choix que de faire un geste pour reprendre l’initiative et redonner crédit et attention médiatique à la solution politique, à laquelle il a toujours fermement cru.

La stratégie contre-productive de l’État israélien
Le coup diplomatique du leader semble jusqu’à présent être un succès. Il a réussi à faire oublier les roquettes de Gaza et rallier in extremis de nombreux soutiens inespérés, à la fois sur le plan interne avec le Hamas, qui en soutenant l’initiative n’a pour la première fois pas refusé explicitement la solution à deux États, et sur le plan externe avec le ralliement de puissances stratégiques telles que la France ou encore l’Espagne.

Ce vote lui a permis de publiquement démontrer l’importance du capital sympathie de la Palestine sur la scène internationale, mais aussi d’exposer en miroir la faiblesse de celui d’Israël. Malgré tous ses efforts déployés pour gagner la bataille de l’opinion publique internationale, l’Etat Hébreu n’a pas eu d’autre choix que de constater l’échec de sa tentative de décrédibilisation de l’initiative palestinienne. La maladresse de la réponse israélienne a de plus encore amplifié son isolement. En annonçant la construction en représailles de 3000 logements dans les colonies ainsi que le dégel de la zone «E1», considérée par les médiateurs occidentaux comme une ligne rouge à ne pas franchir pour préserver la viabilité sur le terrain d’une solution à deux États, Israël s’est attiré les foudres de ses soutiens jusqu’aux plus fidèles. En qualifiant ouvertement la Cisjordanie de « territoire disputé » sur lequel « le peuple juif a un droit naturel et une revendication territoriale », il a également rendu explicite son refus – jusque ici seulement exprimé en filigrane - de créer dans un futur proche un État palestinien aux côtés d’Israël. Ce durcissement et cette stratégie jusqu’au-boutiste dans laquelle semble s’enfermer le gouvernement Netanyahou – le plus conservateur de l’histoire d’Israël - risquent de lui faire perdre des soutiens stratégiques essentiels.

A long terme, cette stratégie est également contre-productive: elle présente paradoxalement Mahmoud Abbas comme le seul leader réellement enclin à se battre pour la réalisation de la solution à deux États, et donc implicitement la survie de l’Etat juif tel que voulu et défini par l’idéologie sioniste. En effet, poursuivre une stratégie de colonisation n’aura pour autre résultat que de rendre physiquement obsolète dans un futur proche la création d’un État palestinien, ne laissant donc qu’une seule option : celle d’une solution à un Etat unique où seraient forcés de cohabiter israéliens et palestiniens, et où la démographie palestinienne plus dynamique rendrait rapidement la population arabe majoritaire. C’est pour cette raison qu’une partie de l’opinion publique israélienne tire aujourd’hui la sonnette d’alarme : en poursuivant à tout prix son ambition de sauver le rêve du « Grand Israël », Netanyahou pourrait bien à long terme en causer la perte.